Jacques Besson est médecin, psychiatre, addictologue, ancien chef du Service de psychiatrie communautaire, Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), jusqu’au 31 juillet 2018. Actuellement Professeur Honoraire de l’Université de Lausanne (UNIL) et Professeur invité à l’Institut des Humanités en médecine de la Faculté de biologie et de médecine (FBM).
Vice-recteur Recherche et Affaires étudiantes de l’Université de Lausanne de 2003 à 2006. Membre du Conseil de fondation du Fonds national suisse pour la recherche scientifique jusqu’en 2015. Rédacteur en chef des Archives suisses de neurologie, de psychiatrie et de psychothérapie pour la partie francophone jusqu’en 2018. Membre du Sénat de l’Académie suisse des sciences médicales jusqu’en 2018
Son intérêt pour la psychiatrie communautaire et la santé mentale l’a porté à étudier depuis de nombreuses années les rapports entre psychiatrie et religion et entre neurosciences et spiritualité. Il est marié et père de 4 enfants.
Compte-rendu
Mot de notre présidente, Line Dépraz
Nous avons
la chance d’accueillir le professeur Jacques Besson et entendre le fruit de ses
réflexions. Il est addictologue avec un grand intérêt pour la médecine
psychiatrique communautaire. Les neurosciences ont appuyé la trajectoire de sa
pensée. Il en a fait une réelle passion. Cet explorateur intellectuel supervise
les exorcistes et a développé une belle relation avec le dalaï-lama et les
moines tibétains.
Conférence de Jacques Besson
- Le parcours d’addictologue
Après avoir parcouru les
disciplines classiques que sont la médecine interne, la psychiatrie et la
neurologie, il passe par Harvard et devient chef des urgences psychiatriques à
Lausanne. Très rapidement, il est confronté à des populations vulnérables par
son engagement pour l’armée du salut. C’est à la fondation vaudoise pour
l’alcoolisme qu’il note la nécessité de faire intervenir la spiritualité pour
agir efficacement. Parallèlement, les premières scènes ouvertes de consommation
de drogues dures comme l’héroïne voient le jour en suisse dans les années 80.
C’est au centre pour toxicomanes de St Martin que le travail afflue et le
besoin d’engager des aumôniers avec l’appui de la science (logos) se fait
percevoir. La science comme fondement du travail spirituel pour vaincre ce
trouble mental, cette perte de contrôle qu’est l’addiction.
- La science et le matérialisme
La faculté de médecine ne
laisse guère de portes ouvertes aux rêveurs mystiques et le côté laïque et
matérialiste de l’institution crée une réelle Omerta sur les différents psychanalystes
et penseurs qui souhaitent donner naissance à une salutogénèse (thérapie
effective, du latin salus: la santé) par le biais de la spiritualité. Les
échanges entre Sigmund Freud et Oskar Fischer (théologien zwingliste) durant 30
ans furent littéralement écartés de l’intérêt académique de l’époque.
Entendons-nous bien, la
spiritualité est un besoin naturel et universel et la religion en est la
réponse culturelle, institutionnelle et traditionnelle. La prière de la
sérénité permet de recadrer l’essentiel (changer ce que l’on peut et accepter
ma fois l’inamovible).
- Réponse dans les neurosciences
Les opioïdes sécrétés par
ces prières réchauffent et sont les témoins de ce lien objectif entre la
substance cérébrale et la démarche spirituelle. Mais ce sont les travaux en
neurochirurgie de l’épilepsie qui posent les jalons. Coupons le corps calleux,
créons des sujets « split Brain » et voilà : la messe est
dite : l’hémisphère gauche est logique et voit l’arbre dans la forêt. La
partie droite voit la forêt dans l’arbre et promeut l’intuition. Mais quand ces
facultés sont séparées, il y a une discrépance forte entre le vécu et
l’expression de ce dernier. La neurogéographie de la spiritualité trouve
également son origine dans la combinaison des deux composants végétatifs :
le sympathique (fight, fright and flight) et le parasympathique (rest and
digest). Cette conscience modifiée est localisable : les régions frontales
et temporales profondes.
- Inégaux face à la spiritualité
Les fonctions d’empathie,
de cheminement vers l’autre seraient conditionnées par le gène de dieu.
Ces mutations ponctuelles impactant la biochimie cérébrale des récepteurs de la
sérotonine rendent l’homme plus sensible à la religion qui devient finalement un
produit de l’évolution. Cette construction de l’altruisme, de la
protection de l’autre rend la notion de foi un « marqueur
évolutionnaire ». Dieu n’existe pas et des marqueurs permettent de le
dire. Pour un Darwiniste, c’est une invention, pour un mystique, c’est
une découverte.
- Jésus thérapeute et lui-même promoteur
de foi
Dans l’évangile de
St-Luc, c’est cette même salutogénèse (du latin salus qui signifie
aussi salut) qui est à l’honneur. N’oublions pas, comme médecins, de stimuler
les attracteurs de santé chez le patient comme l’a fait le christ avec les
lépreux. La pathogénèse, donc l’exploration de la cause trouve vite ses
limites, par exemple dans l’autisme. Si l’homme est une fusée à 3 étages
(les deux premiers représentant le physique, et le psychique), c’est bien le
grenier qui est habité. Ce degré de spiritualité nécessite la pensée libre car
sinon la vérité la vraie s’en trouve voilée selon St-Thomas d’Aquin. Le dalaï-lama
confirme cette notion du dernier étage. Refoule la croyance et tu seras névrosé ! Tu
tomberas dans un vide existentiel. Tu seras un dépressif agressif et dépendant.
Les penseurs comme Frankel avaient ouvert la voie.
- L’heure des questions
Renato Panizzon aborde la question de
la schizophrénie et des drogues comme le cannabis qui peuvent la déclencher. Le
lobe frontal est souvent déficitaire. Il ne résulte pas un état mystique qui
est synonyme d’apaisement mais un délire mystique où le patient devient
inaccessible. Qu’est-ce qui est dedans, qu’est ce qui est dehors ? c’est
le reality testing.
Marc-Antoine Surer demande si le
christianisme en tant que tel reste pour le conférencier une notion stimulante.
Ce dernier argumente que ce sentiment océanique de nirvana impersonnel y réside
aussi pour lui, même si Jacques n’aime pas être taxé de chrétien de service.
Finalement, je soulève le rôle de l’ayahuasca,
cette tryptamine puissante qui, accompagnée par un rituel shamanique permet de
lever les barrières, de percer « l’abcès psychologique » qui est la
réelle origine de l’addiction (80 % des héroïnomanes ont été violés ou battus).
En Suisse, des psychiatres travaillent déjà avec le LSD pour atteindre des buts
thérapeutiques similaires.
Le bulletinier du jour : Philipp Spring