Propositions de lecture par Henri Baudraz

lundi 30 novembre 2020

Premier ouvrage : Aymeric Caron, Utopia XXI, Editions Flammarion 2017

Il y a des livres qu'on lit pour le plaisir et d'autres pour comprendre. Utopia XXI est de la seconde catégorie. Nous avons pour actualités la condamnation de l'antispéciste Markus, la ZAD du Mormont, les grévistes du climat, et nous nous demandons quel est leur projet sociétal, tant leur discours paraît confus au regard de nos modes d'analyse.

Utopia XI répond à ces questions du point de vue des antispécistes, mais, à mon avis, de manière plus large, aussi aux idées des deux autres mouvements.

Utopie XXI vise à la création d'une société qui aura pour priorité : le bonheur de chacun ; la progression morale de l'humanité ; un travail limité à quelques heures par semaine ; une société où l'argent ne régnera plus en despote en étant distribué équitablement à tous ; enfin une société où le citoyen inculte et irresponsable n'aura plus voix au chapitre. Personne ne pourra plus participer à la vie en communauté sans avoir apporté la preuve qu'il en est digne. A cet effet un permis de voter sera instauré.

On retrouve donc, pratiquement inchangées, les visées utopistes de Thomas More, il y a cinq siècles.

Pour justifier cette remise en cause radicale du système l'auteur procède à l'analyse critique de l'état actuel de la société fondée, selon lui, sur : le mensonge de la démocratie ; le mensonge du travail ; le mensonge de l'argent ; le mensonge du terrorisme ; le mensonge de la nation ; le mensonge de la liberté ; le mensonge de l'égalité ; le mensonge de la fraternité.

Une fois tous ces mensonges dénoncés, l'antispéciste propose des remèdes, qualifiés prudemment d'utopiques, mais dont on doit constater qu'ils ne le sont pas tant que ça, savoir, entre autre :

Un permis de voter sera instauré ( il a existé un vote censitaire et les condamnés perdaient leurs droits civils ; dans de nombreux pays seuls les membres du parti au pouvoir ont voix au chapitre).

La semaine de quinze heures de travail pour tous sera instaurée (on en est à 35 heures en France, il suffit de continuer sur la lancée).

Un revenu universel et un salaire maximal seront instaurés (la proposition d'instaurer un salaire universel est d'actualité et un salaire minimal fixé dans de nombreux pays, la liberté contractuelle dans les rapports de travail est de plus en plus réduite).

Les naissances seront limitées (la Chine a déjà instauré le contrôle des naissances).

La propriété privée sera restreinte (les régimes communistes sont allés plus loin en l'abolissant).

L'action terroriste à l'encontre du vivant sera punie ( c'est l'objet de la votation sur les multinationales responsables).

Les crimes contre l'animalité seront reconnus (la protection des animaux se développe et l'animal n'est plus une chose en droit suisse).

Ce projet ne fait pas la part belle à la liberté. Il paraît à première vue excessif, voir irréaliste. Néanmoins, on aurait tort de ne pas réfléchir à ces sujets et de ne pas développer des réponses bien étayées à ces propositions.

Malheureusement, les tenants de ces théories ne reconnaissent aucune légitimité à la démocratie et partant aux lois qui heurtent leurs convictions.

Il faut évidemment accepter le débat d'idées. L'accepteront-ils de leur côté ? Ou n'aurons-nous pour toute réponse que : boomer, climatosceptique, sans coeur, barbant, fat, rapace, menteur, manipulateur, prétentieux, esclavagiste, salaud, autocentré, fourbe, perfide, parasite, ce que sont, selon M.Caron, presque tous les supérieurs hiérarchiques incompétents et vicieux ? (p. 9, 2ème paragraphe)

Second ouvrage : La Guerre et la Paix, Léon Tolstoï, Guilde du livre 1953

Une quarantaine, c'est l'occasion rêvée pour redécouvrir ou simplement lire un grand classique, que l'on retrouvera peut-être dans la bibliothèque familiale sous la couverture rouge de la Guilde, ou dans une des nombreuses éditions existantes.

Tolstoï y retrace de nombreux destins individuels, tissés entre le libre arbitre et la prédestination, qui recréent sans cesse un ordre moral et social. Natacha est destinée à devenir la femme de Pierre, qui la sauve du déshonneur. Mais pour cela il faut qu'elle soit déliée de sa parole vis à vis du prince André, qui meurt, accomplissant ainsi complètement sa destinée de héros. De même Pierrre ne peut épouser Natacha qu'après que son épouse, Hélène, soit elle aussi morte, suivant son destin de femme dépravée. Ainsi l'ordre est rétabli, selon l'ordre immuable des choses, sur le plan social et divin.

Natacha a les idées petites et ménagères, Pierre les a larges et altruistes, mais ils sont tout deux bons à leur manière.

Les idées de Pierre pourront-elles changer le monde ? Tolstoï pose la question et y répond tout en nuance, lors d'une rencontre entre Natacha, Pierre, Nicolas comte Rostov et sa femme, la princesse Marie Bolkonsky, qui ont pu, eux aussi, se marier , malgré les obstacles de fortunes et moyennant le sacrifice d'une cousine. Pierre évoque un monde meilleur et l'abolition du servage. Il se voit répondre par Nicolas que ses idées sont belles, mais que, pour lui, il défendra le tsar, représentant l'ordre établi, jusqu'à la mort, dût-il tuer son beau frère. 

L'oeuvre de Tolstoï est toute entière marquée par la question du progrès, peut-être opposé à l'ordre divin et à l'éternel de l'âme russe.

Si le destin des individus tisse la trame du roman , qu'en est-il du destin des peuples ? Quelles forces ont-elles poussé des millions d'hommes, qui pour eux-même souhaitaient chacun la paix et la prospérité, à s'entretuer des années durant ? Quelles forces mystérieuses coordonnent toutes ces volontés pour rendre possible de pareils désastres, la commission de tant d'atrocités ?

Un homme personnifie l'émergence de ces forces obscures et les perçoit, c'est le maréchal Koutouzoff

Napoléon déferle avec ses troupes sur la Russie, c'est une marée qui se heurtera nécessairement à l'immensité de la terre russe. La bataille de Borodino a une issue incertaine, peu importe pour Koutouzoff. Il sait que l'élan est brisé, que le reflux est prochain est inévitable. Il suffira de conduire ce mouvement inéluctable pour libérer le terre Russe.

Pour les français aussi il n'existe aucun choix individuel possible. Tout soldat qui s'écarte de la colonne est immédiatement tué, et pour ceux qui sont à l'intérieur le compagnon de gauche et de droite l'empêchent de s'écarter du chemin de l'armée, ainsi poussé jusqu'aux ponts de la Bérézina.

Libérer la sainte Russie c'est la mission du maréchal, c'est ce qu'il comprend et, la Russie libérée, ayant accompli son destin, il mourra.

La dimension du roman va bien au-delà du destin de Natacha,qui reste dans nos mémoires sous les traits charmants d'Audrey Hepburn . Il questionne le destin de l'homme, son libre arbitre, sa place dans la société, cette société elle- même, le destin des peuples et le sens de la guerre et de la paix.

Henri Baudraz

Aymeric Caron