Si vous avez manqué la visio-conférence de Gilbert Rapin, présentée dans le cadre des Z'apéros du club, vous avez ci-dessous le texte complet de sa conférence.
La mise en service l’été dernier du nouveau pont de Gênes, qui a suscité des échos particulièrement élogieux dans la presse technique, me donne l’occasion de revenir sur un flash que j’avais présenté au club, après la catastrophe du Pont Morandi en août 2018. Il y était question des ouvrages haubanés en général, avec un regard particulier sur ceux réalisés de Suisse et sur celui de l’ingénieur Morandi.
L’effondrement tragique du pont de Gênes était certainement lié à son mode de construction, mais il s’est rapidement avéré que son concepteur l’ingénieur Morandi n’était pas en cause. Et ce, malgré le fait qu’il avait la réputation de concevoir des projets particulièrement audacieux pour son époque, comme par exemple le pont sur le lac Maracaibo au Vénézuela.
En fait l’origine du désastre était due à de graves défauts de maintenance. Il faut savoir qu’une structure suspendue par des haubans ne pardonne pas à la rupture par la corrosion des câbles qui la soutienne et c’est exactement ce qui s’est produit à Gêne.
Le nouveau pont a été baptisé du nom de San Georgio. C’est lui, qui en terrassant le dragon symbolisant la victoire du bien sur le mal, exorcise en quelque sorte le malheur de 2018.
Venons-en à la reconstruction de l’ouvrage qui pour moi est une « belle histoire à italienne ».
Le projet tout d’abord.
Il est l’œuvre de Renzo Piano, fameux architecte, originaire de Gênes et qui, bien qu’âgé de 84 ans, a décidé de relever le défi.
Pourquoi un architecte et pas un ingénieur me direz-vous ? Il y a une certaine antinomie entre les deux métiers et ce, même si en définitive ils concourent au même objectif en matière de projet.
Il y a bien sûr des exceptions ou l’ingénieur et l’architecte se confondent comme avec l’Italien Pietro Nervi ou l’Espagnol Santiago Calatrava. Pour Renzo Piano, ce n’est pas le cas, mais ce qu’il a dessiné avec une parfaite justesse a ensuite été validé par les calculs des ingénieurs.
Le choix du métal comme matériau principal est synonyme de légèreté, de rapidité de construction et contribue également à l’élégance de l’ouvrage.
La nécessité de franchir de très grandes portées, 100 m dans le cas de Gênes, impliquait pour Morandi en 1967 de recourir à un système à haubans. Aujourd’hui, les progrès techniques permettent de mettre en œuvre des structures plus classiques comme celle du pont mixte métal et béton choisie pour le San Giorgio.
Pour cette reconstruction, une priorité absolue a été accordée aux facteurs de sécurité essentiels que sont la durabilité et à maintenance. Pour ce faire, le pont est équipé de dispositifs d’auscultation permettant de déceler immédiatement et en temps réel tout évènement suspect.
Et l’exécution maintenant
Ella a été confiée à un groupe italien séculaire issu de l’acquisition d’Impregilio, une des branches du groupe Agnelli Fiat, par l’entreprise romaine Salini.
Récemment rebaptisée Webuild, ce qui est plutôt surprenant pour des Italiens, elle s’est spécialisée dans les technologies de pointe et l’ingénierie. Avec a son actif des ouvrages d'art et des grands travaux à l'échelle mondiale comme des barrages, des centrales hydroélectriques, des écluses pour le canal de Panama. Pour la petite histoire, elle a aussi participé en Suisse à la construction du tunnel de base du Saint-Gothard.
En Italie, une de ses premières réalisations fut un stade de 100 000 places voulu par Mussolini pour accueillir Hitler à Rome. En 1986 elle participe au 2ème pont suspendu « Sultan Mehmet » sur le Bosphore, d’une portée principale de 1090 m.
Plus récemment, elle devait participer à la réalisation du pont suspendu de Messine entre la Sicile et le continent d’une portée de 3300 m. Projet voulu par Berlusconi mais auquel ses successeurs ont, après son départ, décidé de renoncer.
Deux éléments de conclusion à notre belle histoire à l’italienne où se mêlent tragédie et épopée.
En 1er lieu
La terrible catastrophe d’août 2018 a d’abord jeté, injustement le discrédit sur l’ingénieur Morandi, qui n’était heureusement plus de ce monde.
C’est finalement la Société des Autoroutes, plus soucieuse d’encaisser les péages que d’entretenir les ouvrages qui a été mise en cause. Or cette dernière était majoritairement en mains d’un groupe familial connu sous le slogan d’United Colors of Benetton qui s’était lancé dans des activités de diversification, bien loin de son métier d’origine.
Une fois les graves manquements confirmés par l’enquête, de nombreuses voix se sont élevées pour demander le retrait des Benetton. Mais ce n’est que très récemment que l’ancien premier ministre Giuseppe Conte a durci le ton et mis la pression sur la famille Benetton afin qu’elle s’en aille.
Et également
Dans ce contexte dramatique, il convient de lever notre chapeau à ceux qui ont eu le courage de relevé le défi :
- Un architecte certes célèbre, mais âgé de de 84 ans.
- Une entreprise qui a mené à son terme cette construction à hauts risques et d’une grande complexité dans des délais extraordinairement cours, ceci grâce notamment à la planification fast track, méthode de contrôle où les phases d’activités du chantier avancent en parallèle.
Cette méthode qui a permis de gagner beaucoup de temps pourrait être comparée aux processus de développement des vaccins covid.
Et pour terminer une petite anecdote
La 1ère voiture à avoir circulé sur le pont San Giorgio était conduite par Pietro Salini, PDG de Webuild et celui-ci a déclaré :
« Traverser ici aujourd'hui est une émotion unique, cela met en lumière tous les efforts et la passion de ces derniers mois. Cela prouve aussi qu'en Italie, de grands travaux peuvent être réalisés et qu'ils peuvent être faits rapidement … »
Et on retrouve ici toutes les facettes du « pays des paradoxes » qu’est l’Italie.
Gilbert Rapin